Comment préparer les services de confiance et l'identité numérique à l’ère post-quantique ?
Longtemps cantonnée aux laboratoires de recherche et aux démonstrateurs expérimentaux, la révolution de l’informatique quantique se rapproche désormais à grands pas.
Dernier événement en date : l’Assemblée générale de l’ONU a proclamé l’année 2025 comme « Année internationale des sciences et technologies quantiques », soulignant l’importance stratégique de ces avancées au niveau mondial.
Dans ce contexte, une véritable course s’engage : les États-Unis, l’Europe et la Chine accélèrent leurs investissements pour maîtriser cette technologie de rupture. L’enjeu n’est pas seulement scientifique : il touche à la compétitivité économique, à la souveraineté numérique et à la sécurité des infrastructures critiques.
Mais concrètement, que va changer l’arrivée des technologies quantiques ? Sur quel horizon de temps ces technologies transformeront-elles nos usages numériques ? Quelles opportunités ouvriront-elles pour l’identité numérique et les services de confiance (signature électronique, archivage probant…) — et quels risques pourraient fragiliser les fondements mêmes de la sécurité numérique actuelle ?
Pour anticiper ces scénarios, Fabrice Aresu, notre CEO, partage sa vision d’une technologie qui, au-delà de ses promesses, soulève déjà de sérieuses problématiques de sécurité et de souveraineté.
L'informatique quantique au cœur des enjeux de souveraineté numérique
Conceptualisé par Paul Benioff en 1980, l’ordinateur quantique désigne une machine capable de manipuler des états quantiques (superposition, intrication) pour effectuer des calculs bien plus puissants que les ordinateurs classiques. Les perspectives sont immenses : accélérer la R&D (modélisation moléculaire), optimisation des décisions complexes en temps réel et sécuriser (ou compromettre) les systèmes de chiffrement actuels.
Or ce qui semblait encore relever de la recherche purement scientifique il y a quelques années apparaît aujourd’hui comme une réalité : IBM et HSBC, par exemple, ont publié en 2025 un essai pilote montrant comment un système quantique améliore la prédiction de transactions obligataires (bond trading) par rapport à des méthodes d’analyses classiques.
Mais derrière ces cas d’usage, c'est tout un enjeu de souveraineté numérique qui se dessine. Les États et les grandes entreprises entendent dominer cette nouvelle révolution numérique, pour ne pas dépendre de technologies étrangères dans un secteur de rupture.
Les États-Unis, via la National Quantum Initiative et le CHIPS and Science Act, mobilisent plusieurs milliards chaque année principalement via de l'investissement privé. Ainsi, l'entreprise IBM a annoncé en avril 2025, un plan massif de 150 milliards de dollars sur cinq ans aux États-Unis, dont une partie dédiée au quantique. Idem pour la Chine qui en 2022 avait annoncé un investissement de plus de 15 milliards de dollars dans ses programmes quantiques nationaux, faisant d’elle le pays le plus engagé au monde en matière de financement public.
L’Europe, de son côté, a consacré près de 11 milliards d’euros de financements publics depuis 2020, mais ne capte encore qu’environ 5 % des investissements privés mondiaux, contre plus de 50 % pour les entreprises américaines.
Pour LuxTrust, se positionner dès aujourd’hui est une exigence stratégique. « Nous ne pouvons pas attendre que le quantique bouscule nos infrastructures », affirme Fabrice Aresu. « Nous devons être acteurs, pas spectateurs, de cette mutation. La révolution quantique n’est pas seulement une question d’ordre technique, c’est une question de maîtrise numérique à l’échelle du continent ».
En investissant dans la recherche, les partenariats européens et les projets pilotes, nous entendons garantir que nos services demeurent sous contrôle européen, même face à la puissance de calcul quantique qui pourrait permettre de casser les mécanismes de chiffrement. Car derrière les efforts de recherche se profilent des changements très concrets, à la fois porteurs de nouvelles garanties de sécurité mais également de risques majeurs.
Les opportunités et menaces de l’ère post-quantique pour les services de confiance
L’informatique quantique ouvre des perspectives inédites pour renforcer la fiabilité des services de confiance.
Les nouvelles approches de distribution de clés, comme la Quantum Key Distribution (QKD), offrent la possibilité d’échanger des clés cryptographiques via des canaux inviolables, y compris par satellite. Pour l’identité numérique et les services de confiance (signature électronique, archivage…) — cela représenterait un bond en avant en matière de confidentialité, en rendant les communications beaucoup plus sûres.
Mais cette avancée technologique comporte un revers. Le fameux « Q-Day », c’est-à-dire le jour où un ordinateur quantique sera capable de compromettre en temps réel les algorithmes classiques (RSA, ECC), constitue une véritable ligne de fracture. Les infrastructures actuelles reposent encore largement sur ces standards. Si les algorithmes actuels venaient à être compromis par un ordinateur quantique, les conséquences seraient immédiates pour l’identité numérique et la signature électronique.
Comme le rappelle Fabrice Aresu : « Une clé d’identité ou de signature compromise permettrait de créer des documents falsifiés, indiscernables des originaux. Concrètement, cela signifie qu’un même contrat ou un même justificatif pourrait exister en deux versions : l’une réellement signée par les parties, l’autre générée artificiellement mais tout aussi “valide” en apparence. »
Dans un tel scénario, un tribunal ou une administration se retrouverait dans l’impossibilité de déterminer quel document est authentique.
C’est précisément pour éviter cette situation que l’archivage électronique à valeur probante joue un rôle essentiel : il ne se contente pas de conserver un fichier, mais apporte des preuves supplémentaires (horodatage, empreintes cryptographiques, traçabilité). Ainsi, même si une signature électronique venait à être falsifiée, l’attaquant devrait en plus parvenir à manipuler l’archive elle-même pour conférer une apparence de légitimité à son faux, ce qui complexifie nettement la mise en œuvre de l’attaque.
L’arrivée du quantique exige d’anticiper, car il en va de la continuité juridique et technique des services de confiance. Un changement de paradigme que nous avons déjà commencé à intégrer dans notre manière de sécuriser les identités, signatures et archives.
LuxTrust en première ligne pour anticiper les enjeux post-quantiques ?
Depuis plusieurs années, LuxTrust a engagé une migration vers des algorithmes post-quantiques.
Comme l'explique Fabrice Aresu : « Concrètement, nous avons déjà migré une partie de nos autorités de certification vers de nouvelles clés et algorithmes, en nous appuyant sur les choix considérés comme les plus robustes à ce stade de la recherche. L’objectif est de garder une longueur d’avance sur les standards actuels et préparer nos infrastructures à la prochaine génération de menaces. Nous investissons pour essayer de rester toujours un cran au-dessus des exigences minimales pour limiter le risque et protéger les systèmes les plus critiques ».
Cette stratégie s’accompagne d’un calendrier de mise en œuvre. Entre 2026 et 2027, nous espérons être en mesure de tester nos solutions face à de véritables ordinateurs quantiques, en s’appuyant sur les accès offerts par nos partenaires industriels et académiques. Ces essais permettront ainsi de valider la résistance des nouveaux algorithmes.
Comme le souligne Fabrice Aresu : « Nous avons confiance en ces technologies, mais tant qu’elles n’auront pas été confrontées à des machines quantiques plus fiables que celles d’aujourd’hui, nous ne pourrons pas en avoir la certitude. »
Au-delà de l’aspect technique, nous jouons aussi un rôle clé dans la coopération européenne en participant à des consortiums de recherche et en finançant la recherche universitaire sur les sujets de cryptographie post-quantique.
Cette anticipation est d’autant plus essentielle que nous sécurisons des environnements sensibles : accès étatiques, infrastructures critiques, systèmes financiers. En combinant innovation technique, partenariats stratégiques et alignement réglementaire européen, LuxTrust entend ainsi préparer l’ère post-quantique avec un objectif clair : garantir que ses services demeurent solides et fiables malgré l’arrivée de cette rupture technologique.